Quelques jours avant la sortie du premier confinement qui paralysait tous les secteurs, l’Alliance des Producteurs de Films Publicitaires en la personne de sa présidente Florence Jacob et Xavier Prieur délégué en charge des producteurs de films publicitaires au sein de l’Union des Producteurs de Cinéma UPC accordait à Packshotmag sa première prise de parole depuis le début de la crise pour nous présenter ses actions. Six mois plus tard, dans une interview croisée Florence Jacob, Xavier Prieur et Francois Brun, vice-président de l’APFP, font le point sur la situation des productions publicitaires indépendantes.

 

PSM – Quel est à ce jour l’impact de la crise sur les productions françaises ?

Florence Jacob : L’impact de la crise sanitaire sur la production est considérable. De nombreux films ont été décalés voire annulés et moins de films sont réalisés. Durant plusieurs mois, notre activité a été quasiment arrêtée. Certains d’entre nous ont dû interrompre leurs tournages, en France ou à l’étranger.

-Xavier Prieur : Les premiers chiffres dont nous disposons font état d’une baisse supérieure à 60 % de l’activité de nos adhérents (une soixantaine de producteurs de films publicitaires répartis sur tout le territoire français) sur les 6 premiers mois de 2020 avec un pic à plus de 80 % de baisse d’activité en avril 2020.

Le second confinement est moins violent puisque nous avons obtenu la possibilité de tourner en intérieur comme en extérieur mais l’activité est tout de même ralentie.

PSM –  Est-ce qu’on peut déjà évaluer la portée fatale de la crise sur les productions ? Ou plus positivement, quelles sont les productions qui s’en sortent le mieux ?

-Florence Jacob : Nous n’avons pas encore de chiffres sur les dégâts causés par la crise. Ce qui est certain, c’est que les productions qui s’en sortent le mieux actuellement sont celles qui ont fait du développement de talent français depuis toujours, qui ont investi beaucoup d’argent pour faire grandir leurs réals français année après année en faisant du clip, des courts métrages, de la fiction, de la photo etc.

Ce sont ces réalisateurs, en majorité français ou européens, qui sont consultés en premier pour leur talent indéniable, mais aussi parce qu’ils sont en France ou en Europe.

-François Brun : C’est pourquoi il est essentiel qu’il y ait un retour sur investissement et que ces producteurs indépendants qui ont investi dans le développement de talents français et qui font rêver les créatifs, les annonceurs et le public, puissent rester dans la course, survivre et continuer à être interrogés sur les appels d’offres entre indépendants. Ces producteurs indépendants sont les garants de la création de talents français et en petite partie de la culture, car souvent ces talents et ces producteurs sont également présents au cinéma.

PSM –  Quelles solutions pour amoindrir l’effet de la crise ?

-François Brun : Nous souhaitons la mise en place d’aides pérennes qui permettrait de relancer notre activité et de tourner davantage en France.

Cela est possible si nous arrivons à baisser les coûts de production qui sont très élevés pour le moment par rapport à de nombreux pays étrangers.

Le Made in France devient un argument de vente pour certains annonceurs, notamment ceux qui ont perçu des aides importantes par l’État. Il faut donc nous donner le plus de chances possibles pour rendre attrayant ce Made in France. Pour le moment la France reste très chère, ce crédit permettrait de rendre nos propositions en France beaucoup plus viables pour les annonceurs et donc de rapatrier davantage de tournages en France dans cette période où tout déplacement d’équipes risque d’être compromis par des fermetures de frontières du jour au lendemain ou des tests ou quarantaines obligatoires.

-Xavier Prieur : Nous travaillons intensément au projet d’un Label France avec d’autres associations de notre secteur afin d’obtenir des aides (type crédit d’impôt) de la part des pouvoirs publics.

Nous souhaiterions notamment collaborer plus que nous le faisons pour l’instant avec le CNC.

PSM – Comment les productions abordent ce deuxième confinement qui heureusement permet de maintenir les tournages, est-ce que le protocole est maintenant bien accepté par TOUS ?

-Florence Jacob : Les producteurs indépendants sont les meilleurs en termes d’adaptabilité. C’est notre boulot de nous adapter à des situations complexes depuis toujours. Donc oui le protocole est très bien intégré et appliqué par tous, sans exception.

A l’étranger, nos confrères sont également équipés de manière exemplaire. C’est une profession qui a joué le jeu au niveau mondial.

Xavier Prieur : C’est parce que nous avons pu sécuriser les tournages de films publicitaires que nous pouvons aujourd’hui continuer à tourner. Les pouvoirs publics nous ont écoutés lorsque nous avons demandé le maintien des tournages pendant le couvre-feu puis pendant le second confinement.

 

–  Est-il efficace ?

-Xavier Prieur : Pour l’instant, aucun cluster n’a été constaté lors de tournage de films publicitaires français (en France, ni à l’étranger). Des dispositifs de tests sont mis à disposition aux frais de nos producteurs auprès des équipes de tournage afin d’éviter des prises de risque.

Les tournages de films publicitaires sont sans aucun risque aujourd’hui. Nous sommes extrêmement contrôlés et nos salariés sont massivement testés.

Notre protocole sanitaire rédigé par les professionnels du secteur du cinéma, de l’audiovisuel et publicitaire dans le cadre de nos CCSHCT ( comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la production de films) est mis à jour régulièrement.

D’ailleurs sa nouvelle version sera publiée cette semaine ici : http://www.cchscinema.org/covid-19-guide-des-preconisations-de-securite-sanitaire-pour-les-activites-de-la-production-audiovisuelle-cinematographique-et-publicitaire/

PSM – Le protocole a un coût, lequel ? Est-ce que les annonceurs acceptent de le financer ?

-François Brun : Au début l’évaluation du coût du protocole Covid était encore floue, car il venait juste d’être rédigé et cette épidémie mondiale était inconnue. Nous avons dû avoir quelques discussions pédagogiques avec les cost-control et autres pour expliquer l’utilité de certains coûts. Il s’agissait surtout d’expliquer que ces surcoûts ne pouvaient pas être absorbés par les productions puisqu’il s’agissait d’une dépense mise en place pour protéger les équipes qui travaillaient sur une mission spécifique pour les besoins d’un annonceur.

Depuis, les annonceurs ont en grande majorité intégré ce surcoût.

-Xavier Prieur : En mai dernier, en partenariat avec l’AACC, nous avions évalué un coût lié aux dépenses sanitaires autour de 20 % du coût du film. Grâce à l’expérience de nos producteurs et la connaissance des mesures sanitaires, nous pouvons affirmer qu’aujourd’hui ce coût est inférieur à 10 % du coût d’un film.

-Florence Jacob : Avec un surcoût entre 8 à 10 % du budget, oui la protection du Covid a un prix mais elle est nécessaire si nous voulons continuer à tourner. Tous nos adhérents sont exemplaires dans l’application des règles sanitaires.

-François Brun : Après quelques explications nécessaires pour bien clarifier la situation, l’UDM s’est montrée un véritable partenaire. Nous avons pu communiquer avec de nombreux annonceurs pour leur expliquer que nous pouvions continuer à tourner dans de très bonnes conditions, avec la même qualité qu’avant la pandémie, ce qui était également une de leurs interrogations.

-Florence Jacob : Cette situation de crise a décloisonné certaines hiérarchies très pyramidales dans le passé. Les rapports sont plus directs notamment avec l’UDM qui s’est davantage rapprochée de nous. Nous avons maintenant des discussions ouvertes non seulement avec l’AACC mais aussi avec l’UDM.

L’ère COVID est une période où les agences mais aussi les annonceurs ont besoin d’informations précises et directes sur les mesures qui leur permettent de communiquer ou pas. Ils se sont donc naturellement rapprochés de nous pour échanger sur le sujet du protocole comme les autres protagonistes du marché l’ont fait.

PSM – Les producteurs souhaitaient participer dès la création pour donner un avis éclairé sur ce qui était possible de faire ou pas. Avez-vous été entendu, par les agences et les marques ou vous trouvez-vous face à des situations « impossibles » ?

-Florence Jacob : On y travaille. Certaines agences ont le réflexe de nous consulter sur ce qui est possible de créer ou pas, surtout les petites agences.

Cela se fait généralement en one to one entre un producteur et un TV prod.

D’autres ne le font jamais et du coup certains concepts sont effectivement difficiles à mettre en place, voire risqués. Mais en tant que producteur on essaye toujours de répondre aux demandes et de rendre possible l’impossible. Ce qui nous met parfois en danger financièrement en tant qu’entrepreneur.

-François Brun : On doit être plus directifs et dire ce que l’on peut faire franchement en exposant les problèmes qui peuvent survenir et ne pas mentir ou esquiver.

Il est essentiel de faire confiance aux talents, aux réalisateurs, aux producteurs qui sont garants de ce qu’on peut faire. Il faut s’en remettre aux savoir-faire de chacun.

-Florence Jacob : Nous serons tous gagnants à jouer la franchise, la sincérité dans le respect et la confiance.

Il y a des situations qui provoquent des tensions, de la défiance. Il ne faut pas oublier qu’on est des partenaires, un équipage. Nous devons jouer l’entente, la solidarité. Une fois sur le plateau de tournage, le réalisateur est l‘expert de la mise en image du concept créatif avec son chef opérateur. C’est le producteur qui sait si le projet est faisable techniquement.

 

PSM – Est-ce que l’APFP maintient le rythme de ses réunions, est-ce que les productions échangent plus entre elles depuis la crise ?

-Florence Jacob : Les producteurs indépendants se parlent énormément entre eux, beaucoup plus depuis cette crise. Nous sommes en permanence en contact avec nos adhérents. Il y a beaucoup de discussions croisées. On se tient tous au courant, on est soudés même si nous sommes concurrents, on essaye de faire survivre le plus de maisons de productions indépendantes que possible et cela demande beaucoup de stratégie et d’encouragement de nos talents. La crise va taper fort, car comme dans toute situation de danger, les agences / annonceurs se reposent sur une poignée de talents extrêmement confirmés au niveau de la réalisation, ce qui laisse peu de moyen aux jeunes pour s’exprimer actuellement via la publicité ou même aux réalisateurs étrangers qui ne peuvent pas se déplacer.

-François Brun : Évidemment comme il y a moins de projets en circulation, les réalisateurs confirmés acceptent aujourd’hui de réaliser certains sujets qu’ils auraient difficilement considérés dans le passé (par manque de temps, de budget ou de qualité créative).

Mais cette situation ralentit le développement de nouveaux talents. Vivement qu’il y ait du travail pour tous !

-Xavier Prieur : Dans l’élaboration des projets d’aides pérennes à nos entreprises, nous faisons une place très importante aux nouvelles façons de produire et aux jeunes talents. Nous souhaiterions que les réalisateurs de publicité puissent bénéficier d’aide pour réaliser des clips, des courts-métrages et des longs-métrages. Il y a une perméabilité constructive entre le cinéma et la publicité depuis toujours. Nous sommes bien placés à l’UPC pour en parler et accentuer ces échanges entre la production publicitaire et cinématographique.

Nous continuons comme nous l’avons toujours fait de conseiller au mieux chaque adhérent de l’APFP autant d’un point de vue juridique, stratégique que financier. Nous avons des retours très chaleureux de nos membres qui se sentent soutenus et se rendent compte qu’ils appartiennent à une corporation qui devient de plus en plus structurée et forte.

PSM – Échangez-vous aussi avec les annonceurs et les agences au regard de ces sujets ?

-François Brun : Oui bien sûr, nous nous parlons beaucoup et surtout on essaye de redonner confiance aux annonceurs en leur expliquant dans quelles conditions les tournages sont maintenus.

On a l’impression qu’il faut continuer à communiquer pour donner espoir, la vie va bien reprendre en 2021. Maintenant effectivement le contenu des messages publicitaires va sans doute changer. Le public et donc les annonceurs recherchent une communication plus responsable et plus humaine. Les agences sauront mieux vous en parler.

-Xavier Prieur : Il est important que nous maintenions, même en période de crise, un dialogue constructif avec les autres corps intermédiaires de notre secteur. Nous sommes en contact très régulier avec l’UDM et l’AACC. Nous leur avons confirmé notre capacité à assurer les tournages dans des conditions optimales pendant cette période.

-Florence Jacob : Nous avons plus que jamais un contact privilégié avec certains patrons d’agence qui sont très attachés aux problématiques de RSE et très attachés à la production indépendante en général.

Ils brainstorment avec nous sur les projets pour permettre la réalisation des films sur le terrain. Ce sont généralement des personnes qui connaissent très bien et savent évaluer la valeur de nos talents et l’utilité de la production indépendante française.

PSM – l’APFP et l’AACC annonçaient dans un communiqué commun le 7 mai « on ne pourra plus produire comme avant ». Six mois plus tard, est-ce qu’on peut produire dans ce nouveau contexte des films de qualité comme « avant » ?

-Florence Jacob : Le protocole sanitaire est connu et appliqué par tous nos adhérents. Il répond à tous les risques et permet d’anticiper certaines situations. Les producteurs sont les premiers informés et responsables sur ce qui est faisable ou pas.

Le seul obstacle est la méfiance des annonceurs. Pourtant, toutes les modalités sont réunies pour que l’on puisse tourner dans les meilleures conditions possibles. Parfois dans de meilleures conditions qu’en temps normal.

Oui, nous pouvons, aujourd’hui, réaliser des films de très grande qualité sur le territoire français.

Allons de l’avant, faisons confiance aux savoir-faire des producteurs de films publicitaires indépendants. Il est temps de communiquer à nouveau !