Sandrine Schumacher, co-fondatrice avec Pascale Scetbon de la jeune production Hellostranger il y a tout juste un an, nous parle en productrice affûtée de son coup de cœur pour un jeune talent en qui elle croit intensément : Shane Carruth.


 

Shane Carruth, c’est un vrai coup de foudre. J’ai découvert le travail de Shane Carruth l’année dernière au moment où son deuxième film Upstream Color était présenté à Sundance. Le buzz était tellement énorme qu’il m’est venu jusqu’aux oreilles. Je me suis renseignée, procurée ses deux films, Primer qui a reçu le grand prix à Sundance en 2004 et Upstream Color, qui n’ont jamais été distribués en France. Ça a été une révélation, une grosse gifle, un énorme coup de cœur. C’est un réalisateur complètement atypique, son univers visuel et sensible est extrêmement fort. Trouver et développer des talents atypiques, créer les conditions d’une passerelle entre eux et les agences et les annonceurs, c’est la raison pour laquelle on fait ce métier. La publicité est friande de nouvelles images, de nouveaux talents. C’est ce qui donne du sens à notre métier de producteur, c’est un véritable moteur.

 

 

 

-Quand et comment s’est passée la rencontre ?

 

Après avoir vu ses films, j’ai cherché sa trace auprès d’amis producteurs de longs-métrages qui m’ont donné son mail, ils trouvaient mon envie de lui proposer de faire de la pub "exotique". Je lui ai écrit et il m’a répondu qu’il était à Paris depuis trois mois pour écrire son nouveau film ! On s’est donc rencontrés avec Pascale, qui avait dans l’intervalle découvert ses films et était tout aussi enthousiaste, dans un café à Paris début septembre. On s’est plu et nous avons décidé de travailler ensemble. Ce qui lui a paru très attractif pour se lancer dans la publicité, c’était l’exercice de style, le fait que l’idée soit déjà écrite. Shane a toujours de grandes difficultés à finaliser ses scénarios, à les laisser "partir". Aussi paradoxalement, la publicité lui donne les conditions d’une forme de liberté, où il ne se soucie que du "sugar on the cake", de la mise en forme et de la narration. C’est un terrain pour tester la collaboration avec des équipes, certaines techniques. Bien entendu, la pub lui permet aussi de financer le développement de ses longs-métrages.

Nous nous sommes revus à Los Angeles en avril et avons gagné un film ensemble chez Havas 360 dans la foulée, que nous venons de tourner à LA où il est basé en ce moment. À la suite de quoi, nous avons décidé que nous avions très envie de continuer à travailler ensemble.

 

 

– Qu’est ce qui vous séduit en lui ?

 

Absolument tout nous séduit, le génie du garçon, sa place atypique dans le paysage cinématographique, sa démarche absolue et sans concession. C’est un être à part.

Il fait tout lui-même, travaille complètement hors circuit et du système avec de très petits budgets. Il écrit, produit, réalise, joue dans ses films, fait la lumière, compose la musique, la musique d’Upstream Color est extraordinaire, le trailer, la distribution, le poster, le blu-ray. Bref, c’est un touche-à-tout de génie.

C’est un luxe de travailler avec des réalisateurs de ce calibre.

 

 

-Quel est son parcours ?

 

Shane a fait des études d’ingénierie et de mathématiques. Né à Myrtle Beach, il a grandi un peu partout aux US, son père était dans l’armée. Sa famille s’est ensuite sédentarisée à Dallas.

Shane était donc ingénieur et mathématicien quand il a tout plaqué pour devenir réalisateur et faire Primer. L’intervalle a été très long entre ses deux films car après Primer, Shane a développé un scénario incroyable, A Topiary, qu’il n’a jamais pu financer.

 

 

-Comment définiriez-vous sa personnalité artistique, quels sont ses points forts ?

 

Ses films sont des expériences sensorielles, le visuel et le son sont extraordinaires, ils provoquent des émotions très fortes. À ce titre, le récent Under the Skin de Glazer est dans la même filiation.

Ce premier projet mené ensemble était le projet idéal pour le connaitre "dans l’action" et pour tester notre relation, avec une agence que nous connaissions bien, un client intelligent et aventureux.

Comme nous l’avions supposé, Shane a mis toute son exigence au service de la commande. Il s’est montré très à l’écoute de l’agence et du client. Il est une vraie force de proposition et il s’implique énormément dans le process. C’est une personnalité hors norme extrêmement structurée.

 

 

-Quelles sont ses aspirations ? Son actualité ?

Shane souhaite continuer à faire des longs-métrages hors système, exigeants visuellement et intellectuellement. Shane est un réalisateur indépendant culte aux US. C’est un artiste pur et dur, dont des cinéastes comme Soderbergh, Fincher ou Spielberg sont de grands fans.

Il est en pré-production d’un nouveau long-métrage, A Modern Ocean, un projet très ambitieux qui se situe sur les routes maritimes, une romance tragique. Nous échangeons beaucoup sur l’avancement de ses projets de fiction.

Quant à la publicité, avec la relation que nous avons établie, Shane nous fait une totale confiance sur les projets qu’on vise pour lui. Dans l’esprit de ses films très visuels, auditifs, bref, sensoriels, des marques comme Audi, Mercedes, Air France, seraient par exemple d’excellentes collaborations.